Plateforme arméno-turque

Points de vues de Turquie, d'Arménie et de la Diaspora
Traduction intégrale en turc, arménien, anglais et français

 

Point de vue de Turquie

1915, Le peuple turc doit regarder la vérité en face

 
 
  Point de vue de Turquie

1915, Le peuple turc doit regarder la vérité en face

Sait Çetinoglu

 

 
Sait Çetinoglu

Historien turc

 

Sans langue de bois et avec une franchise rare, Sait Çetinoglu expose les raisons pour lesquelles les compensations et indemnisations sont une nécessité morale et explique pourquoi une restitution sans condition des biens arméniens devenus propriété d’état s’impose. Rappelant que « toutes les couches de la société et tous les niveaux de l’État ont participé, d’une manière ou d’une autre, au processus génocidaire et en ont tiré profit », il explique également que les Arméniens et autres peuples victimes de génocide devraient pouvoir déterminer les compensations et indemnités pour les pertes humaines subies et souligne que le devoir de tous devrait être de les soutenir « sans condition et sans restriction ».


Sevan Nişanyan, un des représentants de la communauté arménienne de Turquie connu pour son franc-parler, a été pris pour cible pour ses critiques envers la religion et le régime actuel. Il écopera d’une peine de prison quasi équivalente à la perpétuité pour une bête infraction à la réglementation foncière. Il est détenu depuis un an dans un centre de détention de haute sécurité, trimbalé d'une maison d’arrêt à l'autre (quatre établissements différents). Dans un tel contexte, j’ai bien conscience que parler de justice peut paraître ironique et je voudrais donc préciser ma démarche: j’essaierai ici d’élaborer l’idée de « processus » pour parler du génocide arménien de 1915 et le concept de « justice a posteriori ». 

William A.Schabas, juriste spécialisé en droit pénal, jouit d’un prestige international. Bien que les quelques références faites au concept de crime contre l’humanité remontent à quelques centaines d’années, précise-t-il dans un exposé détaillé sur le crime de génocide, c’est lors du processus génocidaire de 1915 qu’il est utilisé pour la première fois dans son acception contemporaine. Il insiste également sur le fait que la quête de justice sur le génocide arménien est toujours en suspend : “Dans un communiqué des trois forces alliées,les massacres perpétrés contre la population arménienne de Turquie ont été déclarés « crime contre l’humanité » et les personnes ayant pris part aux événements seront tenues pour individuellement responsables. Des voix se sont cependant élevées lors des négociations de paix d’après-guerre pour remettre en question la condamnation pénale et aucune poursuite n’a jamais été lancée au niveau international pour les événements de 1915 (dits “génocide” en arménien)1. Ses propos démontrent la persistance de l’injustice.   

Silence d’un côté et déni de l’autre: d'une certaine manière, le génocide se poursuit encore aujourd'hui. Même après cent ans de “realpolitik” et d’hypothèque judiciaire, il faut que la justice se libère enfin de ses chaînes avant qu’il ne soit trop tard.

La demande de justice est, comme chacun-e sait, un droit fondamental. Elle est universelle. La recherche d’équité implique d’envisager la demande de justice de la société arménienne dans sa dimension humaine et universelle. Le crime de génocide entre dans la catégorie particulière de « crime contre l’humanité » et doit donc être envisagé à la lumière de valeurs universelles.

Le génocide est un processus. Dans cette perspective, les processus du génocide de 1915 doit être pensé sur une période de dix ans allant de 1913 à 1922. C’est dans ce laps de temps que se sont produits les événements les plus dramatiques. Ils avaient eu des précédents, en 19132 dans la région égéenne. Le processus se déroula sur dix ans et aboutit finalement par quelques soubresauts dans un contexte renouvelé par les persécutions kémalistes. Le contexte historique du génocide de 1915 ici précisé est valable pour le peuple arménien tout comme pour les autres peuples alors éradiqués.  

Même si l’on entend dire que tout le monde n’était pas au fait des crimes contre l’humanité perpétrés et des mesures prises pendant le processus génocidaire, la majorité était au courant3 et la responsabilité collective est largement partagée. Est-il possible que l’être humain soit inconscient de ses propres faits et gestes ? Toutes les couches d’une société et tous les niveaux de l’administration avaient-ils perdu conscience pour en arriver là ? İl nous faut donc reconnaître qu’il s’agit bien d’un crime collectif. 


Toute la société est responsable
 

Toutes les couches de la société et tous les niveaux de l’État ont participé, d’une manière ou d’une autre, au processus génocidaire et en ont tiré profit. Rien ne pourra jamais l’effacer et les profits retirés sont d’ailleurs toujours valables aujourd’hui.

La formulation de cette vérité, bien que limpide, provoque de nombreuses réactions. Dans le reportage que j’ai fait récemment avec Greta Avetisyan pour l’Armedia le 9 décembre 2014, elle disait: “En Europe, on qualifie de “nazis” celles et ceux qui disent qu’ils ne sont pas responsables des actes de leurs grands-parents. Considérer des terres historiquement arméniennes comme turques ou comme intégrées au Kurdistan revient à s’associer aux crimes génocidaires. C’est une manière d’accepter la colonisation de l’Arménie historique.”4. Mais c’est son usage de “Kurdistan” qui a dérangé. Les a priori s’y sont mêlés, et la discussion s’est terminée en expliquant, entre autres, que le Kurdistan n'était pas concerné:

Ce qui se passait au-delà de l’Euphrate n’était pourtant rien d’autre qu’une expulsion des populations et une colonisation de l’Arménie historique5.

Il faut bien entendu préciser que les peuples victimes de génocide (Arméniens, Grecs Pontiques, Grecs de Turquie, Assyro-Syriaques) ne sont en aucun cas à l’origine de ces événements. Il nous faut reconnaître cette réalité sans condition et bien comprendre que l’impunité perdure encore aujourd’hui faute de réparation.

N’oublions pas également le traitement partial qui en est fait : une partie seulement des événements est mise en avant, tandis que d'autres aspects sont totalement négligés. On rappelle la maison de la famille Kasapyan transformée en palais présidentiel, alors qu’on n’évoque nullement les biens confisqués en Arménie historique, en d’autres termes de l’autre côté de l’Euphrate. Cette négligence6 témoigne d’un double standard7 qu’il faut abandonner si l’on veut commencer par aborder le problème avec un sens minimum de la justice.     

Les victimes se sont vues dépouillées de leurs biens, privées de leur culture, éloignées de leurs enfants réduits à l’esclavage, massacrées et déshumanisées au moment du génocide.

C'est un problème de conscience tout autant qu'un problème juridique. Cela implique donc aussi un sens de l’équité dans l’approche et une évaluation des événements selon les principes de justice universelle.

Il s’agit, au bas mot, de demander réparation pour cette injustice historique et d’obtenir une justice a posteriori. Il est possible de le présenter de la manière suivante :   

Pour commencer, il est fondamental que l’État, les organisations professionnelles (Association turque des métiers du soin, Société des journalistes …), les syndicats et les chambres professionnelles, soient poussés à soutenir cette quête de justice. Ils pourraient, par exemple, exprimer la sincérité de leur engagement en portant à l’ordre du jour le massacre de certains de leurs membres. Cette attitude constituerait une avancée significative pour demander ensuite une cérémonie symbolique au Parlement (TBMM) en mémoire des parlementaires arméniens assassinés pendant le génocide (ces derniers avaient été emmenés pour être soi-disant jugés. Ils furent finalement torturés, puis exécutés).  

Aujourd'hui, les peuples victimes de génocide dans la région ont un large éventail de demandes en termes d'indemnités et de justice a posteriori : elles vont d'une simple excuse (officielle. ndlt.) à la restitution de 150 000 kilomètres de terres saisies après l'armistice de Moudros, en passant par la modification du nom de l'avenue « Halaskargazi » à Istanbul en avenue « Hrant Dink ». 


Les compensations et indemnisations sont une nécessité morale

Les Arméniens et autres peuples victimes de génocide devraient pouvoir déterminer les compensations et indemnités pour les pertes humaines subies. Notre devoir est de les soutenir sans condition et sans restriction.

L’hétérogénéité des demandes peut poser problème, mais on peut s’en remettre à un juge/spécialiste pour mieux dépasser cette difficulté et formuler quelques propositions grâce à son éclairage :

Parmi les chercheurs travaillant sur le génocide, Henry Theriault de l’université de Worcester,  souligne clairement, dans son travail sur le génocide arménien, que les compensations et indemnisations envisageables relèvent avant tout d’une nécessité morale: “Les meurtres, les viols et les mauvais traitements, le coût culturel, social, et autres pertes sont indiscutablement irrattrapables. Il y a pourtant UNE chose très importante qui peut véritablement être faite.”. Dans son propos, il rappelle les problèmes d’indemnisations et la difficulté à rendre justice et énumère une série de propositions concrètes pour les réparations:

“Voici quelques indemnisations possibles du génocide arménien: premièrement, la restitution ou l'indemnisation pour les terres et les biens spoliés. İl faut, par ailleurs, prendre en compte ;

1. les biens et propriétés disparus ou détruits,

2. le calcul d'un intérêt sur les pertes matérielles subies,

3. le prix du travail forcé (esclavage),

4. les douleurs des morts et des rescapés,

5. la perte d’un million et demi de personnes en tant que membres d’une communauté, membres d’une certaine famille,

6. des indemnisations doivent également être versées auprès des institutions culturelles, religieuses et éducatives.

Deuxièmement, la Turquie doit faire avancer concrètement l’indemnisation des pertes arméniennes non-versées. Elle se doit également de soutenir les survivants dans leur effort pour se reconstruire: la jeune République d’Arménie en développement, aussi bien que sa diaspora, fruit du génocide, regroupée autour d’institutions économiques, politiques, sociales sans oublier les victimes dans le giron turc.Troisièmement, l’État turc doit accepter toutes les étapes du génocide, il doit faire en sorte que le peuple turc apprenne la vérité historique et doit faire son possible pour faire connaître le génocide à l’échelle internationale. Quatrièmement, en parallèle du versement des indemnisations, l’État et la société turque doivent entrer dans une phase de réhabilitation. Il leur faut éradiquer tous les éléments de la tradition et des pratiques institutionnelles liées à l’idéologie du génocide. Il leur faut mettre fin aux attitudes stigmatisantes envers les Arméniens, mettre fin à l’expression multiforme d’une identité nationale turque soit disant supérieure, vision héritée de l’Empire, fondée sur un complexe de supériorité vis-à-vis des Arméniens et autres communautés. Cette phase de réhabilitation doit se concentrer tout particulièrement sur l’oppression et la violence faite aux femmes arméniennes: elles ont constitué une cible privilégiée pour la simple raison qu’elles étaient femmes car le viol et l’exploitation sexuelle ont été l’essence du génocide arménien8. »9


Une restitution sans condition des biens devenus propriété d’état s’impose

Il est essentiel de créer une base de dialogue et une atmosphère propice pour mettre en place toutes ces propositions. Pour un résultat équitable et salutaire,  il est nécessaire d’assurer les conditions d’un dialogue de qualité afin de permettre l’expression des différents points de vue sans contrainte et la libre formulation de leurs demandes.

Ouvrons une parenthèse : la question d’un versement n’est pas plus facile que de parler de compensations et d’indemnisation. Une partie des victimes du génocide vit en effet avec des individus ayant tiré profit du génocide. Le fait que l’indemnisation soit payée aux victimes avec leurs propres impôts pose problème et mérite discussion. Il serait trop simple de faire encore payer la facture aux quelques survivants du génocide. N’oublions pas que ce réflexe existe potentiellement dans toutes les sociétés coupables de crimes. La mise en place d'une atmosphère de liberté et de sécurité est donc vitale.

L’État pourrait faire un geste et on peut énumérer ici quelques mesures faciles à mettre en œuvre: assurer le retour des exilés sans condition; restituer les droits liés à la citoyenneté pour celles et ceux qui en ont été injustement privés et la remise d’un passeport turc pour ceux qui le souhaitent ; restituer la topologie arménienne du territoire pour dissiper cet écran de fumée et cesser d’être “le pays qui oublie son nom”, selon la formule de notre cher Sevan Nişanyan. 

Si l’on s’en remet à l’avis des spécialistes, une restitution sans condition des biens, aujourd’hui propriétés étatiques, constituerait la preuve décisive d'une démarche résolue pour démarrer le versement de compensations et d’indemnisations.

La quasi-totalité des pertes figure dans les archives de l’État. Puisque les titres de propriété ont été numérisés, il serait très simple de les évaluer et de retracer les changements et les saisies des titres de propriété dans les registres courants depuis 1913. Une partie des biens est enregistrée à titre privé ; d’autres au nom de l’État. Rien n’empêche légalement l’État de restituer sans condition la partie qu’il possède aux ayants droit. S’il n’existe pas d’ayant droit, les biens peuvent être transmis aux institutions de la société des victimes.10

Acquis de manière variable, la restitution ou la compensation de biens aujourd’hui aux mains de personnes privées fait l’objet d’un autre débat. Ils sont en effet le résultat de divers modes de saisie et d’appropriation. Un de ces mécanismes consistait à convertir à l’Islam les enfants arméniens (fille ou garçon orphelin /de familles massacrées) pour les marier et ainsi récupérer les richesses de leur famille11. La perspective d’appropriation de biens arméniens est l’une des raisons principales de disputes pour récupérer les filles et les femmes issues en particulier de familles riches et qui auraient échappé au convoi vers la mort. Mais ces histoires constituent également un aspect des récits de vie des survivant-e-s. Certains biens ont été récupérés grâce à des documents falsifiés, d’autres ont été achetés à l’État ou réappropriés par voies détournées. Dans cette perspective, la question de la restitution et des compensations est évidemment complexe12.   

Reconnaître le passé relève de l’éthique. L’élaboration de valeurs éthiques est nécessaire. La morale de la société s’est développée dans un contexte où éducation et droit camouflent les faits historiques. Certains ont assassiné leur voisin pour s’approprier une richesse inespérée. L'économie de la société s’est construite sur la spoliation de biens et par le mariage à des femmes dont les familles avaient été pillées. Une réhabilitation morale du génocide de 1915 est fondamentale. Il nous faut enfin comprendre que c’est cette morale qui est la source de tous nos problèmes. Il est illusoire d’espérer une équité et une justice quelconque dans un tel contexte moral. C’est le pourrissement qui nous guette. Aujourd’hui, nous avons tout sous les yeux. İl nous faut dépasser cette morale et les réflexes qui en découlent. Cette réparation aura un effet thérapeutique et viendra assainir la société.   

Le paysage national est dissimulé par un écran de fumée. Le peuple doit pouvoir dépasser cette vision, et regarder la vérité en face. N’oublions pas que c’est d’une dette à l’humanité dont il s’agit. Renonçons au déni et gardons à l’esprit qu’une fois justice rendue, nous tous et tous les segments de la société s’en trouveront assainis. N’oublions pas non plus que briser le silence, aborder et parler véritablement de ces problèmes, s’efforcer de rendre une justice a posteriori relèvent tout simplement d’un comportement humain et qu'accepter la vérité constitue la clé de toute résolution.

Traduction française Céline Pierre-Magnani



[1] William A. Schabas,. Uluslararası Ceza Mahkemesine Giriş, çev. Gülay Arslan, Cambridge University Press, Aİ Türkiye Şubesi, 2004, s 60.

[2] En Janvier 1914, Hilmi Uran informe de l’extermination et de sa dimension ethnique à la préfecture de Çeşme où il a été envoyé. Il consacre tout particulièrement une partie de ses mémoires aux actes de terreur survenus à Çeşme et dans les environs: “Quand j’ai commencé à travailler à la préfecture de Çeşme, quelques familles de rums[2] particulièrement précautionneuses trouvèrent de bon ton de partir subitement pour les îles. Cela provoqua un vent de panique parmi les rums et un vaste mouvement de départs se répandit à Çeşme et dans les environs, si bien que l’on ne put bientôt plus rien contrôler. Certains d’entre eux, sortis à la hâte de chez eux avec un minimum d’affaires sous l’effet de l’angoisse, continuaient même à faire des allers-retours pour récupérer quelques effets persuadésde pouvoir les emmener. Cette affaire de migration avait immédiatement pris des proportions diplomatiques, et avant même d’avoir pu en comprendre les véritables raisons, une commission mixte d’enquête avait été dépêchée à Çeşme depuis Istanbul. La commission arriva à Çeşme, rencontra de nombreux rums et visita leurs maisons. L’un des principaux traducteurs était visiblement déterminé à trouver une raison à ces départs, au point qu’il était revenu vers moi et m’avait lancé d’un ton accusateur,:’Nous n’avons rien pu trouvé, mais 40 000 personnes ne s’enfuient de gaieté de coeur.’ Certes, sans aucun doute. 40 000 personnes ne pouvaient pas partir de gaieté de coeur d’un seul coup, et il fallait s’en convaincre. Ces deux semaines avaient marqué le début et la fin de la migration des rums qui modifia radialement le visage de Çeşme. » Hilmi Uran, Souvenirs, 1959. pp68-71.

[3] Il est avéré que les assassinats d’unionistes avaient rencontré un certain soutien collectif (partisans du parti Union et Progrès. ndlt). Halil Menteşe, l’un des leaders d’Union et Progrès exprimait une certaine réalité quand il disait « Il n’y a pas beaucoup de turcs en Anatolie qui n’ait absolument rien à voir avec ces départs de populations »  Taner Akçam. La question arménienne et les droits de l’homme. Imge. 2014. p527.

[4] En arménien: http://armedia.am/?action=Exclusive&what=show&id=1247176618&lang=arm&lang=arm En turc: http://devrimcikaradeniz.com/dedemin-yaptiklarindan-sorumlu-degilim-diyenlere/

[5] « Pour Lemkin, le génocide se déroule en deux phases principales. Pour reprendre ses termes : ‘Il existe deux étapes du génocide : la destruction des caractéristiques nationales du groupe opprimé et l’imposition des caractéristiques nationales du groupe oppresseur sous la contrainte. Cette imposition se fait : soit à l’endroit du groupe oppressé, après avoir autorisé son maintien sur le territoire ; soit sur les territoires eux-mêmes, une fois ce dernier mis à l’écart et les lieux investis par les membres du peuple oppresseur. ». PourYani Lemkin, le génocide allait au-delà de la liquidation physique et comprenait également la destruction des territoires communautaires et culturels du groupe victime d’agression.  Taner Akçam. Les conversions forcées d’arméniens, le silence, la négation et l’assimilation. İletişim. 2014. p.81

[6] En 2014, prenant les élections présidentielles pour prétexte, un auteur kurde écrivait : « Lourde tâche de déménager Çankaya ! (Çankaya est le quartier d’Ankara où se trouvait l’ancien palais présidentiel. ndlt), un article qui abordait la question de la villa spoliée. Dans le chapeau de l’article, il écrivait : « Sur la colline de Çankaya, la famille Kasapyan n’a rien vendu à personne, ni même sa villa. Leurs biens ont été saisis et spoliés. Et il ne s’agit pas uniquement de la villa de Çankaya ; à la même période, une propriété à Keçiören avait été saisie par la famille Koç, cette même famille à l’origine de la construction du premier Parlement à Ankara, dans le quartier d’Ulus… Nous avons le droit de demander des comptes, et même si les deux autres candidats (à la présidentielle. R.T. Erdoğan et E.İhsanoğlu. ndlt ) ne m’intéressent pas. L’histoire de cette villa, son identité et la question de sa reconstruction méritent des explications, et je les attends de pied ferme. A mon avis, c’est notre président à nous, Selahattin Demirtaş (candidat HDP. ndlt ), qui sera le mieux placé pour le faire.». C’est un peu tendre le bâton pour se faire battre, mais cette remarque est parlante quant à l’ambiance à l’Est de l’Euphrate. Nous n’avons, par ailleurs, entendu aucune déclaration. http://www.bianet.org/biamag/diger/157141-cankaya-tasinmasi-agir-yuk

[7] Depuis l’époque de Mustafa Kemal, le palais présidentiel est officiellement à Çankaya, au cœur de la capitale, sur les hauteurs de la ville. Ce symbole de la République est une propriété qui appartenait, avant la Première Guerre mondiale, à une riche famille arménienne, la famille Kasapyan, et que l’Etat s’est appropriée. C’est, le moins qu’on puisse dire, une grosse gaffe pour un Etat construit sur la confiscation de biens arméniens et autres minorités ! Il est difficile de ne pas y voir un aveu… Mais c’est aussi le signe d’un sentiment d’impunité totale. Encore une fois, un mur de silence bien compréhensible entoure cette histoire troublante.  Laure Marchand- Guillaume Perrier. La Turquie et le fantôme arménien, sur les traces du génocide. İletişim. 2014. P190.

[8] A Siverek, le 7 Octobre 1915, un groupe de musulmans envoie un télégramme au Ministère de l’Intérieur. Ils y font savoir que les jeunes adolescentes converties au début du génocide - avec le consentement du gouvernement - ont été mariées trois ou quatre mois auparavant et qu’elles sont probablement enceintes. Une longue liste de noms s’y trouve : dans le quartier Cami’-i Kebir Ebuzer Buharalı Osman ; quartier de Haşan Çele­bi Mahmud bin Mehmed; quartier de Mahalle-i mezkûreden Mustafa bin Mehmed ; quartier de Mahalle-i mezkûreden Mehmed bin Eyüb ; quartier de Hacı Ömer Bekçi şeyh Zülfikar ; fils du Molla Bekir, Bekir ; fils de Yervan, Hüseyin; quartier de Külabi Kıranzade Hüseyin ; quartier de Külabi Ali bin Mehmed, Karo Salih, Döşengi şeyh Yusuf ; quartier de Cami’-i kebir, le fils de Mahmud bin Si- no, Mehmed ; quartier de mahalle-i mezkûrdan, Eyüb Mako ; quartier de Calile Körikozade Mehmed ; quartier de Külabi, şeyh Mustafa bin Hüseyin ; quartier de Hacı- ömer, Ali Süleyman ; quartier de Cami’-i Kebir, Hacı Ömer, Ahmed bin Bekir ; quartier de Çelebi, Ali bin Musa ; quartier de Cami’-i Kebir, Mustafa bin Hacı Abidin, Ahmed bin Beko ve Külabi Bey.

[9] Henry Theriault. « 21nci Yüzyıl Türkiye’si için Ermeni Soykırımı Sorunu: Sorumluluk ve Çözüme Yönelik Tazmin. » Öncesi ve Sonrası ile 1915 İnkar ve Yüzleşme içinde, ed. S. ÇetinoğluM. Konuk, Ütopya Yayınevi 2012.

[10] Des mécanismes de mise en commun peuvent être mis en place pour les indemnisations matérielles des ayants droit disparus. Elles permettraient d’assurer la réhabilitation et l’orientation de la communauté des victimes ; d’encourager les retours ; de renouveler les institutions éducatives et culturelles, et de soutenir les organes de presse, les activités culturelles et les investissements.

[11] Les mesures prises pour encourager les familles musulmanes à adopter des enfants arméniens sont particulièrement parlantes. Le principe de ces mesures – que nous pouvons baptiser « programme d’encouragement à l’assimilation » - considérer de facto les enfants arméniens et les filles prises pour épouses comme les héritiers des biens de leur famille. C’était une façon pour les familles de récupérer automatiquement la richesse des enfants accueillis par adoption ou par mariage. (abç). Le télégramme envoyé le 11 août 1915 à la Commission des biens abandonnés doit, à cet égard, être relevé : « Dans le cadre de la règlementation sur l’éducation et de l’instruction, le responsable légal de l’enfant - converti ou marié -se voit confié les biens personnels de l’enfant ainsi que les parts de son patrimoine familial si leurs dépositaires sont décédés. » Taner Akçam. Les conversions forcées des Arméniens, le silence, la négation et l’assimilation. İletişim. 2014. p81.

[12] Le témoignage du juriste et ancien parlementaire Mehmet Feyyat sur la réalité dans sa région est suffisamment éclairant : « Les biens immobiliers de ceux qui sont tombés sur la route [morts pendant la déportation], les propriétés des Arméniens contraints à l’exode ont été vendues en parcelle par le Trésor Public après leurs départs. J’étais alors encore bébé quand mon père, qui avait de l’argent à l’époque, acheta notre terrain auprès du Trésor Public, en 1926. Les potentats locaux, les bey (petits seigneurs, ndlt), les cheikh (leader religieux, ndlt) et les notables … Tout le monde riait du zèle de mon père : « quelle idée d’acheter un terrain au Trésor public ; prend-le et le tour est joué ! ». Avec le temps, il devint de plus en plus difficile de garder ces terres. Après les années 40, tout le monde les faisait enregistrer au nom de la famille en versant quelques pots-de-vin. A part mon père, personne ou presque n’avait véritablement acheté ces anciennes propriétés arméniennes abandonnées au Trésor Public dans la région. Les propriétés avaient été récupérées ou enregistrées sur décision du tribunal. C’était une double erreur. Personne n’avait pu en hériter puisqueces biens immobiliers appartenaient aux Arméniens (pp20-21)  Les terres abandonnées par les Arméniens de Van ont toutes été pillées sur décision de justice. J’en ai déjà parlé précédemment. Tout le monde a alors fait enregistrer des titres de propriété, prétendant qu’il s’agissait d’un héritage. La famille de Kinyas Kartal a également émigré de Van en Russie dans les années 1920. Ils font partie des Kurdes de Russie. C’est la tribu Bürükan, dont une partie a émigré à Kars. Dans les années 1950, Kinyas Kartal ouvrit aussi un procès pour obtenir les terres du Trésor public et les faire enregistrer au nom de l’héritage familial. Kinyas Bey vit à Van, au Club d’Anatolie, avec les anciens ministres. Ferit Melen [Président] et ses amis y sont également, sans oublier le juge qui a attribué tous les biens de propriété à Kinyas Bey ». (p231). Mehmet Feyyat. Halkın Savcısı. Scala Y. 2012.

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