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Jour 12 - Mustafa et Çakir : une mémoire enjolivée

 
 

 

14 jours à Diyarbakir - 14 photos d'Amed - 14 textes sur Tigranakert

Envoyé spécial de "Repair", MJM, journaliste français d'origine arménienne, a passé deux semaines dans l'actuelle capitale du sud-est anatolien, à Diyarbakir (Amed en kurde et Tigranakert en arménien) pour partir à la rencontre du passé, du présent et du futur des Arméniens qui étaient des milliers à peupler cette ville avant le Génocide de 1915. Au fur et à mesure de ses pérégrinations, MJM nous fait partager ses rencontres avec des lieux, des femmes, et des hommes dont l’histoire est liée, d’une façon ou d’une autre, avec les Arméniens.

Ce photoreportage date de mai 2013, certaines situations évoquées dans ces articles ont évoluées depuis.

Jour 12 - Mustafa et Çakir : une mémoire enjolivée

Burçin, une amie journaliste qui m’a beaucoup aidé pour préparer mon arrivée à Amed m’avait conseillé de rencontrer les vieux ferronniers qui travaillent non loin du minaret à quatre pieds dans le vieux Diyarbakir. C’est là que l’on rencontre Mustafa, 58 ans, vendeur de quincaillerie, qui semble presque attendre notre venue. Après lui avoir expliqué l’objet de notre visite, il nous fait asseoir sur des chaises rafistolées et hèle un vendeur de çay (thé) qui passe dans la rue. Pas besoin de lui poser de questions, il nous livre ses souvenirs par bribes, en mode haut débit. « Le vendredi avaient lieu des cours de religion et certains professeurs disaient aux élèves qui ne voulaient pas y assister de partir » se rappelle Mustafa. « La moitié de la classe disparaissait. Ce qui veut dire qu’il s’agissait de chrétiens » en conclut-il tout en avalant son thé d’un trait. « On comprenait que les femmes étaient chrétiennes rien qu’en regardant leur façon de porter leur foulard. Entre les yeux et le début du front, quatre doigts pour les Arméniennes, deux pour les autres chrétiennes » explique-t-il tandis qu’un jeune travailleur aiguise une lame non loin de nous.Plus tard dans la conversation, il se souvient d’un vieil ami qui, dit-il, a beaucoup côtoyé les Arméniens du quartier. Il nous propose de le rencontrer.

Le surlendemain, nous rencontrons donc le fameux Çakir, pyjama crème et moustache grisonnante, qui nous accueille dans son minuscule appartement où il vit avec sa femme. A peine installé, surprise, cet ancien cordonnier de 83 ans se met à me poser des questions… en arménien ! « Je parle arménien mieux que les Arméniens ! » lance fièrement celui qui a appris la langue de Mesrop aux côtés de son maître. Malheureusement, le vieux monsieur, victime d’une attaque cérébrale, a du mal à se remémorer l’ancien temps et les bribes de sa mémoire défaillante ne nous donne que peu d’informations sur l’époque où Arméniens et Kurdes vivaient ensemble. « On leur donnait du tourchou (légumes en saumure) et eux nous donnaient du bastourma (charcuterie), du kawarma (viande confite), plein de choses ! On se partageait la nourriture, il y avait beaucoup de solidarité alors » résume Çakir. « On jouait tous aux jeux d’argent, personne ne parlait turc, on parlait tous arménien. Il n’y avait pas d’inimitié entre nous » assure le vieillard dont les souvenirs se sont certainement enjolivés avec le temps. Il n’empêche, ses quelques réminiscences nous indiquent que beaucoup de Kurdes gardent un bon souvenir des gavurs*, « très honnêtes et droits en affaires avec un grand sens de l’honneur et une certaine droiture » selon Mustafa chez qui les mots « solidarité, cosmopolite » et « harmonie » utilisés pour caractériser le Diyarbakir d’autrefois me laissent tout aussi perplexe que rêveur.  

*infidèles

 

Journaliste et photographe freelance de 30 ans, MJM a travaillé pour divers journaux et magazines. Depuis quelques années, il développe également son regard à travers des reportages photo pour l’ONG "Yerkir Europe" en Arménie et en Turquie. Un aperçu de son travail est visible sur son site Internet, www.mjm-wordsandpics.com.

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